
À peine les fêtes de fin d’année terminées, les décorations de Noël dans les magasins ont fait place aux drapeaux australiens et aux milliers de goodies patriotiques. Tabliers, nappes, couverts en plastique, casquettes, claquettes ou encore maillots de bain ! Tout se décline aux couleurs de l’Australie. Alors que le pays s’apprête à célébrer sa fête nationale sur fond de crise sanitaire pour la seconde année consécutive, une question divise toujours autant une partie de la population. Australia Day ou Invasion Day ? Comme tous les ans, à l’approche des festivités, le débat ressurgit. La fête nationale australienne doit-elle être célébrée le 26 janvier ? Pour ses défenseurs, elle pose les fondations de l’Australie contemporaine. Pour ses détracteurs, elle symbolise des décennies de souffrance et l’agonie des peuples aborigènes.
Australia Day, pourquoi le 26 janvier ?
Australia Day, Foundation Day, Anniversary Day, Survival Day, Invasion Day, Day of Mourning, autant de noms pour autant de façons d’interpréter l’Histoire. À ce jour, la fête nationale australienne est officiellement désignée Australia Day ou 26 January. Cette journée commémore ainsi l’arrivée de la Première Flotte (The First Fleet) et la prise de possession de la Nouvelle-Hollande par la couronne britannique le 26 janvier 1788.

En effet, dix-huit ans après le débarquement de James Cook à Botany Bay, l’Angleterre fait de l’Australie une nouvelle colonie pénitentiaire. Ce jour-là, onze navires accostent à Sydney Cove. À son bord, près de 1500 personnes. Des officiers, des matelots et leurs familles, mais aussi des prisonniers. Parmi eux, presque deux cents femmes et quatorze enfants, tous condamnés. Suivront toujours plus de bagnards et de colons libres.
C’est aussi le début de la colonisation et d’une lente agonie des peuples aborigènes. Dépossédés de leurs terres, chassés, réduits en esclavage, décimés par les maladies, les premiers habitants de l’Australie ont longtemps subi les méfaits de la colonisation britannique.
La contestation gronde
Aujourd’hui encore, malgré les excuses publiques du Premier ministre Kevin Rudd en 2008, leurs descendants peinent à s’en remettre et à trouver leurs marques dans une société australienne très occidentalisée.
Ainsi de nombreux Aborigènes et sympathisants de la cause indigène refusent de célébrer cette journée qui, selon eux, marque le début du déclin de leur peuple et de leur culture. De plus en plus d’Australiens, toute ethnie confondue, se rallient à la cause. Plusieurs activistes invitent d’ailleurs les entreprises locales et les salariés à rejoindre le mouvement Change It Ourselves (Opérons le changement nous-mêmes) en refusant de prendre un jour de congé le 26 janvier.
Chaque année, en marge des festivités, des marches ou des sit-in protestataires ont lieu afin de revendiquer un changement de date qui ne soit pas associée au passé colonial de l’Australie, tout en dénonçant les inégalités sociales qui subsistent au sein des communautés aborigènes. Retrouvez la liste des rassemblements organisés à travers le pays sur le site de National Indigenous Television (NITV).

Australia Day ou Invasion Day ?
En 2021, la chaîne d’informations publique ABC s’est attiré les foudres de l’opinion publique. Dans un mémo interne, la direction avait autorisé les journalistes de la chaîne à employer les noms officiels (Australia Day, 26 January), y compris Invasion Day et Survival Day, selon le contexte des reportages réalisés ce jour-là.
Une décision qui a fait couler beaucoup d’encre et qui avait fortement déplu au Premier ministre actuel, Scott Morrison. Ce dernier souhaite que le 26 janvier demeure Australia Day pour tous les Australiens. Il avait d’ailleurs rappelé que cette fête nationale ne célébrait pas l’arrivée de la Première Flotte « mais le chemin parcouru ensemble depuis ce jour ».
Un discours soutenu par Jacinta Nampijinpa Price, figure proéminente dans les communautés aborigènes. Selon la jeune femme, changer de date ne résoudra pas les problèmes de violences domestiques et d’alcoolisme dans les communautés. « Nous célébrons déjà National Sorry Day le 26 mai. Australia Day est bien le jour qui célèbre l’Australie que nous avons construite ensemble et il doit refléter l’ensemble des communautés du pays » avait-t-elle alors déclaré sur ABC.
Quelle alternative au 26 janvier ?
Alors que beaucoup de pays anciennement colonisés ont choisi la date de leur indépendance pour célébrer leur fête nationale, l’Australie commémore l’arrivée des tous premiers convicts sur son continent le 26 janvier 1788.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce sont les bagnards ayant retrouvé leur liberté qui sont les premiers à fêter ce jour. À partir de 1837, des journaux de l’époque mentionnent des rassemblements officiels en souvenir du débarquement de la Première Flotte à Sydney Cove. Et ce n’est que le 26 janvier 1935 que la fête nationale est officiellement reconnue dans tous les États du pays.
Mais cette date est particulièrement controversée et massivement rejetée par les communautés aborigènes. Elles réclament qu’une nouvelle date soit proposée afin de refléter l’histoire commune de la nation. Une idée qui a fait son chemin et qui trouve de plus en plus de sympathisants. En 2017, la mairie de Fremantle en Australie-Occidentale avait créé la polémique en reportant les festivités au 28 janvier.
De nombreuses alternatives ont été proposées dont les 1er et 19 janvier, le 8 mai, le 9 juillet, etc. Parmi elles, la date du 27 mai a été évoquée à plusieurs reprises. Elle fait référence au référendum organisé ce même jour de l’année 1967, qui accorde le statut de citoyens aux Aborigènes et insulaires du détroit de Torres.

Mais dans un récent sondage commissionné par l’Institute of Public Affairs, 71 % des Australiens considèrent que le 26 janvier doit demeurer jour de fête nationale.
Australia Day vu par la pub !
Depuis quelques semaines déjà, le National Australia Day Council (NADC) diffuse son spot publicitaire annuel pour la promotion de valeurs communes qui dépasseraient les clivages actuels à l’occasion de la fête nationale. Respect, Reflect, Celebrate (Respecter, Réfléchir, Célébrer) ou comment réconcilier la population à travers des réflexions constructives sur le passé, le présent et l’avenir.
Tous les ans depuis 2004, sur un ton plus léger, Meat and Livestock Australia (une sorte de fédération des métiers de la viande et des éleveurs de bétails) diffuse un spot publicitaire très attendu par le grand public à l’occasion d’Australia Day. Plus connu sous le nom de « Share the Lamb Ad », on y fait la promotion de la viande d’agneau, vedette des barbecues ce jour-là, sous des airs rassembleurs.
Le ton se veut particulièrement humoristique. On y retrouve de nombreuses références culturelles locales qui font écho à l’actualité. Des personnalités australiennes y font souvent des apparitions. Le politiquement correct est parfois chatouillé, mais dans l’ensemble le résultat est convaincant.
Parmi les campagnes qui se sont succédé, mention spéciale pour celle de 2017 qui nous a offert un spot publicitaire illustrant à merveille le vivre-ensemble australien !
On y découvre trois Aborigènes autour d’un barbecue sur une plage d’Australie quand soudain débarquent un premier navire hollandais, puis la flotte britannique, les Français, etc. Toutes les grandes vagues migratoires y sont ainsi représentées.
Le spot se termine alors qu’un bateau de « boat people » est sur le point d’arriver. C’est alors qu’une femme interroge l’assemblée qui acquiesce largement : « Attendez un peu, ne nous sommes pas tous des boat people ? ».
Parallèle : le cas de la Nouvelle-Calédonie
À 1500 kilomètres des côtes australiennes, la Nouvelle-Calédonie s’est penchée sur le sujet. Pays d’outre-mer français, l’archipel célèbre toujours la fête nationale française le 14 juillet. Défilé militaire, bal des pompiers, feux d’artifices et drapeau tricolore… Les traditions sont respectées.
En revanche, afin de préserver le « destin commun » des Calédoniens tel que défini dans les Accords de Nouméa, la prise de possession du territoire par la France en 1853 est devenue une date symbolique. Ainsi, à l’initiative de Déwé Gorodey, femme leader indépendantiste kanak, le 24 septembre est célébré comme la fête de la citoyenneté.

Aujourd’hui, ce jour férié peine à rassembler toutes les communautés de l’archipel. En effet, de nombreuses récupérations politiques sont observées tous les ans. Journée de la citoyenneté pour les uns, journée de deuil pour les autres… Une nouvelle date pourrait être proposée. La date de la signature des Accords de Matignon le 26 juin a été plusieurs fois mentionnée.
Alors que l’archipel vient de s’exprimer pour la troisième fois sur son maintien au sein de la République française, le débat anime toujours. Et la question se pose encore : comment construire une nation pluricommunautaire sur les fondations de la colonisation ?
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