
Entrepreneure dans l’âme, Marion Vigot est une jeune femme au CV impressionnant. Diplômée de la SKEMA Business School en France et de l’Université de Southampton en Angleterre, elle n’a pas encore trente ans, et pourtant, elle a déjà créé deux entreprises à l’international. En 2019, la Niçoise cofonde avec Alexis Branlard, Mister Rye : une startup basée à Adélaïde, spécialisée dans la production et la commercialisation de pailles écologiques, 100 % issues de l’agriculture bio locale. Une première en Australie !
En parallèle, la jeune femme coordonne depuis cette année la French Tech Australie. Une initiative qui vise à rassembler et promouvoir la communauté des startups françaises établies dans le pays. Un parcours et des projets que Marion Vigot évoque avec Rendez-Vous Australie.
RDV Australie : Pourquoi être venue vivre en Australie ?
Marion Vigot : Avant d’arriver en Australie, je vivais au Vietnam. J’y étais installée en tant que freelance, puis j’ai développé un concept bien connu en France : la box beauté. J’ai créé ma propre société et je l’ai vendue en 2017. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire une pause professionnelle. Après cinq années à un rythme effréné, j’avais très envie d’aller en Australie ! J’en rêvais depuis que j’étais étudiante.
Le visa vacances-travail étant facile à obtenir, je n’ai pas hésité. Je pouvais voyager pendant 12 mois tout en me confrontant au marché du travail local. Je suis donc arrivée en 2018 et je suis partie à la découverte du pays en van.
Qu’est-ce qui vous a conduite à entreprendre en Australie ?
Marion Vigot : Mon désir de m’y installer ! Naturellement, j’ai commencé à étudier les options d’immigration qui s’offraient à moi. Me faire sponsoriser par une entreprise locale ou bien monter ma boîte ? En parallèle, au cours de ma première année en visa vacances-travail, j’ai eu l’opportunité de décrocher plusieurs emplois dans l’agriculture, le commerce et l’hôtellerie. Très vite, j’ai réalisé que le salariat ne me correspondait pas. L’entrepreneuriat me manquait terriblement. En outre, obtenir un sponsorship se serait révélé particulièrement difficile.
Avec Alexis Branlard, mon conjoint et aujourd’hui associé, nous tenions à conserver notre indépendance professionnelle. Nous nous sommes donc mis en quête d’un visa entrepreneur. Nous avons exploré de nombreuses pistes, malheureusement trop onéreuses. Finalement, nous avons eu beaucoup de chance car au même moment, un nouveau visa voyait le jour : The Supporting Innovation in South Australia (SISA) – Temporary Activity (subclass 408).
En quoi ce visa consiste-t-il ?
Marion Vigot : Ce visa est destiné aux entrepreneurs étrangers qui souhaitent développer un concept innovant en Australie-Méridionale. Il s’agit d’un tout nouveau visa puisqu’il a été lancé en 2018. Il est actuellement en phase test jusqu’en novembre 2021. Nous sommes les tous premiers candidats à en avoir fait la demande et nous l’avons obtenu la même année. Au total, il a été accordé à plus de 70 entrepreneurs, dont cinq ou six Français il me semble.
L’avantage majeur de ce visa est qu’il n’est pas nécessaire d’apporter des fonds liés à l’activité de l’entreprise comme c’est le cas pour le Business Innovation and Investment visa.
A-t-il été facile à obtenir ?
Marion Vigot : Il nous a fallu faire preuve de patience et de persévérance. Nous avons attendu deux mois pour connaître les critères d’éligibilité. Compte tenu de sa nouveauté, il y avait beaucoup d’incertitudes et c’est toujours le cas. Les organisateurs de ce programme peinent parfois à nous apporter des réponses claires et précises.
En outre, une fois admissibles, il fallait proposer et présenter un projet qui intégrait le scope de ce nouveau programme. Cela a représenté un travail conséquent.
Et c’est ainsi qu’a germé l’idée de Mister Rye dans votre esprit ? Je suis très fière de cette question…
Marion Vigot : [Rire] Pas tout à fait. Alexis et moi avions proposé un projet initial très différent. Nous avions imaginé une plateforme de vente de matériels d’occasion dans les sports nautiques. Après mûre réflexion, ce projet ne nous correspondait pas totalement et nous avons eu la chance de pouvoir changer d’idée en cours de route.
Puisque nous sommes tous les deux très attachés à la cause environnementale, nous nous sommes concentrés sur le développement d’une alternative écologique à un produit de consommation courant : la paille. Pour nous, il s’agit du symbole de la pollution plastique. Elle est omniprésente dans les débits de boissons en Australie. Cela fait partie des habitudes de consommation difficiles à remettre en cause.
Au cours de nos recherches, nous avons pris connaissance des pailles en seigle. Un concept loin d’être nouveau puisque nos aïeux s’en servaient déjà. De nombreux témoignages affirment qu’on utilisait ces pailles lorsque l’on devait boire dans un même contenant. Cela évitait la transmission de germes entre individus.
Le concept n’étant pas nouveau, on trouve donc déjà des pailles en seigle en Australie ?
Marion Vigot : Et bien non ! On trouve seulement des pailles en blé en Australie. Certains restaurants et cafés orientés vers une consommation plus respectueuse de l’environnement proposent effectivement des pailles sans plastique.
Cependant, aucune de ces pailles n’est issue de l’agriculture locale. Elles sont toutes importées – majoritairement d’Asie – à l’instar des pailles métalliques, en bambou, en riz, en papier, etc. Aucune n’est produite en Australie.
Aujourd’hui, la plupart des contenants zéro-plastique que l’on trouve sur le marché australien sont importés. Leur empreinte carbone n’est pas négligeable. À partir de ce constat, notre idée est devenue très claire : privilégier la filière courte en produisant des pailles en seigle en Australie pour le marché australien.
Une fois votre projet défini, quelles ont été les étapes de la création de votre entreprise ?
Marion Vigot : Des recherches, des recherches, des recherches ! Si l’idée nous semblait fantastique, encore fallait-il étudier sa faisabilité. Nous avons démarré notre projet en mars 2019 et nous savions que la moisson de seigle avait lieu en décembre. Nous avions neuf mois pour nous préparer.
Il a fallu nous documenter sur les différents types de seigle et nous familiariser avec les variétés locales. En parallèle, nous avons contacté trois fermiers dans la région qui pratiquent une agriculture bio certifiée. C’était essentiel pour nous. Ils ont tous été emballés par notre projet et ont accepté de tenter l’aventure avec nous. Puis nous sommes partis à leur rencontre. Sans eux, notre projet n’aurait pas pu aboutir.

Une fois que nous étions certains de pouvoir poursuivre, nous avons procédé aux démarches administratives. Immatriculation de la société, site Internet, etc.
Comment se sont passées ces rencontres ? Des différences culturelles notables avec les agriculteurs australiens ?
Marion Vigot : Très simplement et naturellement. Nous avons rencontré avant tout des familles qui nous ont accueillis très chaleureusement. Ce sont des gens de la terre avec de grandes qualités humaines. Et loin d’observer des différences culturelles, nous partageons beaucoup de valeurs communes qui nous rapprochent. L’écologie et l’innovation sont au cœur de nos préoccupations.
Aujourd’hui ces familles sont de véritables partenaires. Elles sont pleinement impliquées dans notre projet. Cela a toujours été notre souhait et nous sommes ravis du chemin parcouru. Par exemple, nous devions acquérir une faucheuse-lieuse qui a la particularité de ne pas broyer les tiges de seigle (comme c’est le cas avec les moissonneuses-batteuses actuelles). Les fermiers se sont démenés en contactant leur réseau pour en trouver une. Ils ont dû apprendre à s’en servir selon les méthodes traditionnelles. Un bel effort collectif dont nous sommes très reconnaissants.
Et d’un point de vue administratif, vous avez reçu une aide particulière ?
Marion Vigot : Nous n’avons rien reçu sur un plateau si l’on peut s’exprimer ainsi. Nous avons suivi les étapes classiques après nous être renseignés. On ne nous donne pas de livret explicatif qui nous donne la marche à suivre. Il faut être curieux et savoir aller chercher à l’information. C’est la base de l’entrepreneuriat.
Dans notre cas, nous avons cherché à rejoindre un incubateur de startups dans notre domaine. Encore un hasard du calendrier en notre faveur, un nouvel incubateur pour les projets innovants dans l’agriculture se montait au sein de l’Université d’Adélaïde. Nous avons pu intégrer ThincLab sur le campus de Waite en 2019.
Cela nous a permis de commencer à bâtir notre réseau et à rencontrer des spécialistes comme le docteur Kath Cooper. Son expertise en phytologie et son aide ont été cruciales pour choisir les variétés de seigle que nous privilégions.
Justement, parlez-nous de la particularité de vos pailles ? Et qui sont vos clients ?
Marion Vigot : Chez Mister Rye, nos pailles sont en seigle. Le seigle étant plus résistant que le blé. Elles sont toutes issues de l’agriculture biologique certifiée en Australie. Nous sommes les seuls à produire localement dans tout le pays. Elles poussent donc en Australie-Méridionale (South Australia).
Une fois que les fermiers ont terminé la moisson des grains de seigle, nous récupérons la paille. C’est-à-dire les tiges dont l’épi a été coupé. Celles-ci sont naturellement creuses ; ce qui permet d’en faire des pailles pour siroter des boissons.
Nos pailles ne contiennent aucun pesticide et ne sont pas traitées chimiquement. On peut les utiliser avec tout type de boisson (chaude ou froide). Elles se lavent – même au lave-vaisselle – et se réutilisent en moyenne trois fois. Lorsqu’elles deviennent inutilisables, vous pouvez les mettre au compost puisqu’il s’agit d’un déchet organique, entièrement biodégradable.

À l’heure actuelle, nous travaillons majoritairement en B2B. Les restaurateurs et les cafés indépendants de la région sont nos plus gros clients. Mais nous vendons également aux particuliers en ligne, sur notre site.
Vos pailles sont-elles sans gluten ?
Marion Vigot : Elles le sont. Par contre, nous ne pouvons pas garantir l’absence de contamination accidentelle. En effet, le gluten se trouve dans les grains de seigle qui sont récoltés par les fermiers, pas dans la tige. Autrement dit, nos pailles ne contiennent pas de gluten puisque nous utilisons la tige. Par contre, le risque zéro n’existe pas et nous appliquons le principe de précaution.
Vous avez évoqué les produits zéro-plastique, comment sont emballées vos pailles ?
Marion Vigot : Je suis contente que vous me posiez la question. Nos emballages ont fait l’objet d’une recherche approfondie. Il fallait être cohérent avec notre produit, soit tout autant écologique. Malheureusement, les devis qui nous étaient proposés par des prestataires étaient inabordables (en partie à cause des faibles quantités demandées).
Nous avons donc décidé de les fabriquer nous-mêmes. Nous avons créé notre design, décidé des dimensions, tout en veillant à la qualité des matériaux. Pour conserver la filière courte, nos fournisseurs de papier et d’encre sont en Australie. Nous utilisons du papier recyclé et de l’encre à base d’eau non toxique. Nos emballages sont entièrement biodégradables.
Sur votre vidéo promotionnelle, on vous voit découper vos pailles aux ciseaux. Un travail titanesque. Vous envisagez une automatisation ?
Marion Vigot : On l’espère vivement ! Effectivement, pour notre première production, nous n’avons pas eu d’autre choix que de couper nos pailles manuellement. Il n’existe actuellement aucune machine qui nous permette d’automatiser entièrement la découpe. En Asie, où les pailles sont majoritairement produites, les fabricants font appel à la main d’œuvre dont les coûts sont très faibles. Ce qui n’est absolument pas le cas en Australie. Si nous devions répliquer ce procédé ici, notre entreprise ne serait pas viable.
Pour pallier cet inconvénient, nous sommes en train de mettre au point une machine qui répond spécifiquement à ce critère. Avec Alexis, nous l’avons imaginée et nous travaillons sur un prototype. D’ailleurs si des ingénieurs en génie mécanique et industriel souhaitent collaborer, nous sommes preneurs ! Nous allons bientôt entreprendre une levée de fonds pour la fabriquer. D’après nos estimations, il nous faudrait environ 100 000 dollars.
Beaucoup de débrouillardise ! Une aptitude indispensable pour entreprendre ?
Marion Vigot : C’est le propre de l’entrepreneuriat. Quand on ne sait pas faire quelque chose, on apprend. Lorsque vous créez votre entreprise, vous êtes toujours confronté à des contraintes de tout ordre qu’il faut surmonter. Il faut redoubler d’ingéniosité. Au fur et à mesure, vous développez votre créativité. Cela vous permet aussi de mieux connaître votre industrie et de maîtriser tous les aspects de votre activité.
À travers mon expérience au Vietnam et en Australie, j’ai appris à me dépasser, à ne pas baisser les bras. Cela vous apprend à grandir, à repousser les limites. C’est très stimulant.
Parfois j’envie mes connaissances qui entreprennent en France. Les aides à la reconversion, à la création d’entreprise sont nombreuses. Les outils mis à disposition sont considérables. Les Français ne réalisent pas toujours les opportunités qui s’offrent à eux.
À ce propos, vous êtes l’une des coordinatrices de la French Tech Australie. De quoi s’agit-il ?
Marion Vigot : C’est exact. J’étais très impliquée auprès de la French Tech Vietnam. Lorsque je suis arrivée en Australie, j’ai contacté Léo Denes (fondateur d’Australiance) qui animait le réseau à l’époque. Avec Nathalie Taquet (fondatrice de Bottli), nous avons décidé de relancer le mouvement depuis cette année.
Au mois de juillet, nous avons organisé notre première conférence en ligne qui a réuni plus de 32 participants.Nous avons pour objectif d’obtenir le label officiel de la French Tech en 2021. Il est attribué, une fois par an, par les autorités françaises à des pôles métropolitains reconnus pour leur écosystème de startups. Ce label a été étendu aux grandes métropoles internationales qui regroupent des startups fondées par des entrepreneurs français, des investisseurs et des community builders.
Il vise à accroître la visibilité des startups françaises en établissant un label de qualité, une identité commune à toutes, et en créant une marque distinctive reconnaissable à l’international.
Quelle est votre plus grande fierté à ce jour en tant qu’entrepreneure en Australie ?
Marion Vigot : Être partie de rien et avoir réussi à concrétiser une idée qui me tenait à cœur une seconde fois. En arrivant en Australie il y a deux ans, j’étais loin de me douter nous deviendrions les premiers à produire et commercialiser une paille 100 % issue de l’agriculture australienne. Le tout en poursuivant mes aspirations professionnelles, c’est-à-dire rester libre de mes choix et de ma façon de travailler. Ça vaut de l’or !

lors du eChallenge Venture Showcase ©eChallenge
Quel est votre prochain RENDEZ-VOUS ?
Marion Vigot : [Rire] La cueillette des champignons ! C’est la fin de la saison, et des amis vont nous initier aux champignons locaux que je ne connais pas du tout. Et pour éviter toute mauvaise interprétation, je précise qu’il s’agit de champignons comestibles.
Découvrez leur parcours d’entrepreneur⸱e :
Arnaud Husser, fondateur de French Beauty Co.
Mai Lo Do Cao, fondatrice de Mai Lo Is In Oz.
Rémy Durieux, fondateur de Remy’s Real Estate.
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