
Née à Melbourne, Jennifer Seagoe a posé ses valises sur l’archipel calédonien en 1978. Depuis, cette Australienne n’a jamais quitté le territoire français dont elle a pris la citoyenneté. Sa brillante carrière et son engagement au service des intérêts économiques et des entrepreneurs français lui ont valu la décoration de chevalier de la Légion d’honneur en 2016. Figure de modèle d’intégration républicaine, Jennifer Seagoe est devenue une personnalité incontournable de la vie économique en Nouvelle-Calédonie.
À l’occasion de la fin de son mandat en tant que présidente de la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie, Rendez-Vous Australie a rencontré Jennifer Seagoe, une Australienne au service de la France.
RDV Australie : Comment êtes-vous arrivée en Nouvelle-Calédonie ?
Jennifer Seagoe : J’étais de retour à Sydney après avoir passé une année aux États-Unis. À l’époque, j’étais acheteuse pour le groupe Farmers (devenu Myers). Et lors d’une soirée, une amie australienne me présenta un jeune homme originaire de Port Vila (Vanuatu) qui finissait ses études d’expert-comptable, Laurence Seagoe, et qui deviendra plus tard mon mari.
À la fin de ses études, mon conjoint suggéra que nous partions nous installer en Nouvelle-Calédonie. C’était à mi-chemin entre nos deux pays et il y avait de la famille du côté maternel. Il avait pour ambition d’y ouvrir un cabinet d’expertise comptable. Pour cela, il a dû continuer sa formation à Londres et à Paris où nous avons vécu quatre ans et demi.
Et en 1978, nous sommes arrivés à Nouméa avec nos deux filles. La troisième est née sur le territoire.
Quel accueil avez-vous reçu en tant qu’ Australienne en Nouvelle-Calédonie ?
Jennifer Seagoe : J’ai toujours été bien accueillie. La société calédonienne était très petite et tout le monde se connaissait. J’étais certes australienne mais je pense que les Calédoniens m’ont tout de suite associée aux Seagoe de Port Vila (la famille du père de mon défunt mari) mais surtout à la famille calédonienne Savoie, la famille de ma belle-mère, et m’ont adoptée comme l’une des leurs.
Et dans le monde du travail ?
Jennifer Seagoe : J’ai commencé à travailler en 1981, après la naissance de ma troisième fille, pour la Société internationale de télécommunication aéronautique (SITA). Je dois vous avouer que j’ai eu beaucoup de chance et que je n’ai jamais eu à postuler ! On m’a toujours offert un emploi. Ma langue maternelle a été un vrai atout pour commencer.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en intégrant le monde du travail français ?
Jennifer Seagoe : Sans doute le sens accru de la hiérarchie au sein des entreprises françaises ; il est beaucoup plus affirmé qu’en Australie où nous appelons couramment nos supérieurs par leurs prénoms.
En outre, la langue anglaise ne fait pas de distinction entre le tutoiement et le vouvoiement. Cela renforce beaucoup le sentiment hiérarchique qui s’oppose fortement à une organisation du travail plus égalitaire en Australie. Mais je m’y suis très vite adaptée.
Comment vivez-vous votre double culture aujourd’hui ?
Jennifer Seagoe : Je vis en Nouvelle-Calédonie depuis bientôt 42 ans. J’ai bien sûr acquis la nationalité française par mariage et mes trois filles sont franco-australiennes. Notre bilinguisme est une chose fantastique mais notre biculturalisme est une grande richesse dont j’ai pris conscience avec le temps.
Notre bilinguisme est une chose fantastique mais notre biculturalisme est une grande richesse dont j’ai pris conscience avec le temps.
Nous nous sentons complètement chez nous en Nouvelle-Calédonie, en France et en Australie. C’est un sentiment très agréable et réconfortant. La culture australienne et la culture française sont hyper compatibles ; elles se complètent énormément.
Par exemple, en Australie, on n’étudie pas la philosophie au lycée. Je me suis rendu compte que c’était une lacune et j’ai dû me rattraper. Mais je n’aurai jamais cette base qu’ont les Français et qui façonne leur mode de penser et de voir les choses.
Vous venez de passer cinq ans à la présidence de la CCI de Nouvelle-Calédonie. Quelle est votre plus belle réussite selon vous ?
Jennifer Seagoe : Il faut se remémorer le contexte en 2014. À l’époque, la CCI venait d’achever la rénovation de l’aéroport international Nouméa-La Tontouta, dont elle a la charge. Cette modernisation avait fait couler beaucoup d’encre dans la presse locale et avait été très controversée au sein de la population malgré un bilan positif. La CCI et le personnel en ont beaucoup souffert.
Après mon élection, je me suis efforcée de relever l’institution et de rétablir un climat de confiance auprès de nos partenaires et de la population. Je pense que j’ai réussi le pari, ce qui n’aurait pas été possible sans la volonté et les compétences des équipes avec lesquelles j’ai eu le plaisir de travailler. C’est très gratifiant.
La CCI gère également la gare maritime de Nouméa qui accueille essentiellement des croisiéristes australiens. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Jennifer Seagoe : C’est un sujet qui me passionne ! En 2014 déjà, la Nouvelle-Calédonie accueillait deux à trois paquebots par semaine en haute saison. Le gouvernement vient de lancer une étude sur les retombées économiques de l’activité de croisière car nous n’ avons pas encore de données fiables.
Quand on sait que les villes de Marseille et de Bordeaux (croisière fluviale) ont investi massivement pour accueillir leurs croisiéristes, que les commerçants de Nice font tout pour rendre leurs visites agréables, que Brisbane (le port de départ de beaucoup de paquebots qui viennent à Nouméa) annonce des retombées d’environ un milliard de dollars australiens, il faudrait qu’on sache pourquoi Nouméa n’arrive pas à développer l’activité de la même façon.
L’intérêt final, pour la Calédonie, vient d’une statistique internationale qui dit que 40% des croisiéristes satisfaits de leur escale reviennent pour visiter le pays en tant que touristes « classiques » pour des séjours d’une semaine ou plus. Pour un pays qui cherche des touristes de séjour, c’est une statistique intéressante !
Comment la CCI de Nouvelle-Calédonie veille-t-elle au développement durable et éthique du tourisme de croisière ?
Jennifer Seagoe : Nous avons établi des routes extrêmement strictes pour les paquebots de croisière afin de préserver nos fonds marins et notre récif. Tous les paquebots sont guidés par des bateaux pilotes calédoniens. Ensuite, concernant les déchets des navires australiens, il faut savoir qu’ils sont rapportés et traités en Australie.
Les autorités du pays mesurent et contrôlent rigoureusement les quantités des déchets rapportés. Celles-ci doivent correspondre à des calculs très précis établis par ces mêmes autorités selon le nombre de passagers et la durée du voyage. Sur l’île de Lifou qui accueille aussi des navires australiens, les compagnies de croisière financent des programmes de sauvegarde environnementaux et procèdent fréquemment à des analyses sur la qualité de l’eau de mer. S’il est constaté une pollution par les navires et les croisiéristes, la destination est fermée jusqu’à nouvel ordre.
Il faut comprendre et retenir que notre destination, nos paysages et fonds marins sont le faire-valoir de ces compagnies de croisière. Elles ont tout intérêt à préserver notre archipel et elles y veillent.
À ce propos, quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs australiens qui souhaiteraient s’implanter en Nouvelle-Calédonie ?
Jennifer Seagoe : Je leur dirais de venir bien préparés et de privilégier des alliances (comme des joint ventures) avec des locaux ! Tout au long de ma carrière et notamment au sein du groupe Lafleur que j’ai rejoint en 1993, j’ai été amenée à rencontrer beaucoup d’investisseurs australiens. J’ai trop souvent observé qu’ils confondaient la Nouvelle-Calédonie avec les autres îles du Pacifique où la culture anglophone est prédominante. Ils ne réalisaient pas que nous avions une culture et une approche française. Notre législation leur était trop différente et devenait très vite complexe pour ceux qui n’étaient pas préparés. Beaucoup ont fait faillite.
Je leur dirais de venir bien préparés et de privilégier des alliances (comme des joint ventures) avec des locaux !
J’ai en mémoire le cas de la banque australienne Westpac. Au début des années 80, la banque a voulu s’implanter dans les petites îles du Pacifique. Naturellement, ils sont venus en Nouvelle-Calédonie. Ils avaient envoyé une équipe de dirigeants qui ne parlaient même pas français car ils n’avaient fait aucune étude de marché. C’était comique mais en même temps dramatique. Ils ont cessé leurs opérations et sont repartis deux ans plus tard. Un véritable échec. Malheureusement, c’est parfois encore une attitude que je constate.
Vous avez été faite chevalier de la Légion d’honneur en 2016, la plus haute distinction civile et militaire française. Que représente pour vous cette décoration ?
Jennifer Seagoe : J’en ai été bouleversée ! C’est une très grande fierté pour moi. À aucun moment de ma vie, je n’y ai songé ; je n’ai jamais imaginé mériter cette distinction. Je me souviens très bien du jour où je l’ai appris.
Pour l’anecdote, c’était un dimanche soir et je reçois un appel des journalistes de la radio RRB à Nouméa qui souhaitent m’interviewer. Je ne comprenais pas ce dont ils voulaient me parler. J’ai même pensé qu’il y avait eu un évènement grave en Nouvelle-Calédonie ou dans le monde, alors je cherchais un indice sur Internet.
Il m’a fallu du temps pour réaliser que j’avais été proposée et que j’allais recevoir la médaille de chevalier de la Légion d’honneur. [Jennifer Seagoe a été décorée pour sa contribution au développement économique de la Nouvelle-Calédonie et à la défense des entrepreneurs locaux, N.D.L.R.]
Votre mandat de présidente de la CCI vient de s’achever (décembre 2019). Envisagez-vous de prendre votre retraite ?
Jennifer Seagoe : Certainement pas à court et moyen termes ! J’aime travailler. Je fais toujours partie de la direction du groupe Lafleur et je suis actuellement présidente de l’Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie.
Jennifer Seagoe, quel est votre prochain RENDEZ-VOUS ?
Jennifer Seagoe : Eh bien ! ce sera ce vendredi 24 janvier au 1881, à l’occasion du cocktail de la Société d’entraide des membres de la Légion d’honneur que je préside depuis 2017 à l’initiative du Général Gobilliard.
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